Comment créer une entreprise malgré une interdiction de gérer ?

L'interdiction de gérer est une sanction qui peut être prononcée à l'égard du dirigeant d'une société en redressement ou en liquidation judiciaire.

En quoi consiste une interdiction de gérer ?

Le Code de commerce prévoit diverses sanctions pouvant être prononcées à l'égard des dirigeants d'une société en redressement ou en liquidation judiciaire ayant adopté un comportement répréhensible :

  • comblement de l'insuffisance d'actif,
  • faillite personnelle,
  • interdiction de gérer,
  • incapacité d'exercer une fonction élective...

L'interdiction de gérer constitue une sanction fréquente. Dans certains cas, elle est directement prononcée par le tribunal. Dans d’autres, elle résulte du prononcé d'une faillite personnelle. En effet, la faillite personnelle entraîne de plein droit l'interdiction de diriger une entreprise (article L 653-11 du Code de commerce).

Concrètement, l'interdiction de gérer est l'interdiction d'exercer des fonctions de direction, d'administration ou de contrôle dans une entreprise ou une société (association, entreprise individuelle, auto-entreprise, société, etc ...) pendant un délai déterminé (15 ans maximum).

Un dirigeant peut-il créer une entreprise pendant une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ?

La procédure de redressement ou de liquidation judiciaire peut durer assez longtemps et tant qu'elle n'est pas close, il existe toujours un risque que le dirigeant soit frappé d'une interdiction de gérer.

Le plus prudent est d'attendre la clôture de la procédure collective et en attendant, de recourir au portage salarial.

Une fois la clôture de la procédure prononcée et en l'absence de condamnation à l'interdiction de gérer, l'ancien dirigeant peut créer son entreprise sans attendre ; il n'y a pas de délai de carence à respecter.

Dans quelles circonstances un dirigeant peut-il être condamné à une interdiction de gérer ?

Dirigeants visés par l'interdiction de gérer

Une interdiction de gérer peut frapper tous les dirigeants personnes physiques, c'est-à-dire :

  • les dirigeants de droit. Le dirigeant de droit est celui désigné par les statuts ou par les associés de la société pour diriger celle-ci ;
  • les dirigeants de fait. Le dirigeant de fait n'est investi d'aucun mandat social, il n'est pas le représentant légal mais va exercer un réel pouvoir de gestion dans la société. A noter : la qualité d'associé majoritaire n'emporte pas nécessairement celle de dirigeant de fait.

Ainsi, un simple associé qui ne s'est pas comporté comme un dirigeant de fait ne peut pas faire l'objet d'une interdiction de gérer. Tout comme les membres du conseil de surveillance d’une société anonyme (Cassation commerciale, 8 janvier 2020, n° 18-23991).

Dirigeants ayant cessé leurs fonctions

Les dirigeants qui n'étaient plus en fonction lors de la survenance des faits susceptibles d'entraîner une interdiction de gérer échappent à toute poursuite, même si la cessation de leurs fonctions n'a pas été publiée, dès lors qu'elle est effective.

Il en est de même de ceux qui, avant l'immatriculation de la société au registre du commerce, avaient démissionné des postes auxquels ils avaient été nommés.

En revanche, les dirigeants peuvent être poursuivis, même s'ils n'étaient plus en fonction au moment de la cessation des paiements ou de l'ouverture de la procédure collective contre la société, lorsqu'ils ont commis l'un des actes sanctionnés par la loi à l'époque où ils étaient dirigeants.

Fautes pouvant entraîner une interdiction de gérer

L'interdiction de gérer peut être prononcée à l'égard d'un dirigeant ayant commis l'une des fautes suivantes :

  • ne pas avoir acquitté la contribution à l'insuffisance d'actif de la société ;
  • avoir disposé des biens de la société comme des siens propres ;
  • avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel sous le couvert de la société en masquant ses agissements ;
  • avoir fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou l'entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
  • avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la société ;
  • avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de la société, s'être abstenu de tenir toute comptabilité conforme aux règles légales, ou avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.
  • détournement ou dissimulation d'actifs ou augmentation frauduleuse du passif, voire création de dettes fictives ;
  • exercice d'une activité ou d'une fonction interdite car incompatible avec l'exercice d'une activité commerciale selon la loi. C'est le cas par exemple du notaire, de l'avocat... ;
  • maintien artificiel de l'entreprise défaillante avec intention de retarder l'ouverture d'une procédure collective ;
  • souscription pour le compte d'un tiers, d'engagements trop importants eu égard aux difficultés rencontrées par la société à ce moment ;
  • paiement préférentiel consistant à favoriser un créancier au détriment d'un autre après la cessation des paiements ;
  • omission de remise au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur judiciaire, de mauvaise foi, des documents nécessaires à l'inventaire du débiteur prévus à l'article L 622-6 dans le mois qui suit le jugement d'ouverture de la procédure
  • omission volontaire d'informer un créancier, partie à une instance en cours, de l'ouverture de la procédure collective dans les 10 jours de celle-ci ;
  • omission, volontaire ou non, de demande de redressement ou de liquidation judiciaire dans les 45 jours suivant la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

C'est souvent dans ce dernier cas qu'une interdiction de gérer est prononcée, en dehors de toute mauvaise foi.

Il importe peu que le dirigeant ait été rémunéré ou non.

Amplitude de l'interdiction de gérer

Le tribunal peut interdire au dirigeant fautif de diriger, gérer, administrer ou contrôler :

  • soit toute personne morale (la création d'une entreprise individuelle reste donc possible),
  • soit toute entreprise commerciale, artisanale ou agricole (la création d'une entreprise libérale reste donc possible),
  • soit une entreprise ou une personne morale exerçant dans un secteur d'activité particulier.

Le tribunal peut limiter l'interdiction à une ou plusieurs entreprises ou sociétés déterminées.

Les dirigeants frappés de l'interdiction de gérer sont privés du droit de vote dans leur société et peuvent être tenus de céder leurs actions ou parts sociales.

Durée de l'interdiction de gérer

Le tribunal qui prononce l'interdiction de gérer détermine librement la durée de cette mesure, laquelle ne peut pas être supérieure à 15 ans.

Le dirigeant retrouve automatiquement la capacité de gérer une entreprise lorsque la sanction prononcée arrive à son terme, sans qu'un nouveau jugement ne soit nécessaire. Mais, il peut aussi solliciter avant ce délai, sous certaines conditions, un relèvement de cette sanction.

Lorsque la condamnation fait suite à une procédure collective, le dirigeant peut aussi demander la levée des sanctions s'il a apporté une contribution suffisante au paiement des dettes de la société. La requête doit être présentée devant le Tribunal de commerce qui a prononcé cette sanction.

Publication de l'interdiction de gérer

La décision d'interdiction de gérer :

  • est mentionnée au casier judiciaire du dirigeant,
  • est publiée au registre du commerce et des sociétés,
  • fait l'objet d'une insertion au Bodacc et dans un journal d'annonces légales du lieu du siège de la société,
  • et, est inscrite dans le fichier national des interdits de gérer. Ce fichier n'est pas accessible au public. Il ne peut être consulté que par le personnel judiciaire dont principalement les greffiers des tribunaux et les magistrats.

Comment savoir si une personne est interdite de gérer ?

Le fichier des interdits de gérer n’est pas accessible aux particuliers.

Pour déterminer s'il est concerné, l'ancien dirigeant doit s'adresser au Tribunal de commerce qui s'est chargé du redressement ou de la liquidation de l'entreprise.

Peut-on se lancer dans une création d'entreprise malgré une interdiction de gérer ?

Devenir dirigeant de société malgré une interdiction de gérer

Lorsque l'interdiction de gérer est totale, il n'est plus possible de créer une entreprise et d'en devenir dirigeant.

Il peut être tentant de faire appel à un dirigeant de paille pour contourner l'interdiction de gérer. Souvent, il va s'agir de l'époux ou d'un enfant du dirigeant condamné.

Mais le dirigeant de paille ne fait pas écran et n'empêche pas de rechercher la responsabilité du dirigeant de fait. Toutes les fautes susceptibles d'engager la responsabilité du dirigeant de droit sont d'ailleurs imputables au dirigeant de fait.

Un dirigeant frappé d'une interdiction de gérer ne peut pas devenir auto-entrepreneur (réponse ministérielle du 20.09.2011).

Devenir associé malgré une interdiction de gérer

Un dirigeant frappé d'une interdiction de gérer peut être associée d'une SARL ou actionnaire d'une SA, s'il n'y exerce aucune fonction de direction (gérant, administrateur, directeur général, président du conseil d'administration, notamment).

Devenir salarié malgré une interdiction de gérer

Rien n'empêche un ancien dirigeant frappé d'une interdiction de gérer de devenir salarié d'une société.

L'interdiction de gérer ne sera cependant pas sans incidence : elle interdit ainsi au salarié de recevoir une délégation de pouvoirs.

En effet, une personne qui fait l'objet d'une mesure d'interdiction de gérer ne peut, ni statutairement ni par délégation de pouvoirs, accomplir des actes de gestion d'une société (Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 août 2018, 17-83.966).

Que risque le dirigeant en cas de violation d'une interdiction de gérer ?

La violation de l'interdiction de gérer est lourdement sanctionnée. Le dirigeant encourt ainsi une peine de 2 ans d'emprisonnement et de 375 000 € d'amende.

Une peine de prison ferme est généralement prononcée lorsque le dirigeant a déjà été condamné pour interdiction de gérer à plusieurs reprises et qu'il ne manifeste aucune remise en question devant les juges (Cass. crim. 29-11-2016 n° 15-86.116).

Comment demander la levée d'une interdiction de gérer ?

Un dirigeant peut récupérer son autorisation de gérer une entreprise :

  • lorsque l'interdiction de gérer arrive à son terme ;
  • lorsque le jugement clôture la procédure collective pour "extinction du passif" ;
  • lorsqu'il obtient un relevé de déchéance du tribunal qui l'a condamné.

Relèvement automatique dû à la clôture pour extinction du passif

Lorsque le jugement clôture la procédure collective pour « extinction du passif », il met automatiquement fin à l'interdiction de gérer qui frappait le dirigeant au cours de la procédure.

Relèvement prononcé par le tribunal à la demande du dirigeant

Le dirigeant a la possibilité de demander au tribunal de mettre fin à l'interdiction de gérer.

Celui-ci répondra favorablement à la demande du dirigeant :

  • s'il a apporté au paiement du passif une contribution jugée suffisante par le tribunal. En d'autres termes, au plus tard lors du dépôt de sa requête aux fins d'être relevé de son interdiction de gérer, il doit payer au liquidateur judiciaire une somme que le tribunal appréciera comme étant suffisante ou non. Selon les cas, il peut s'agir du montant du super privilège des salaires versés par l'AGS, ou du passif privilégié, voire de l'intégralité du passif. La somme à verser dépend du motif de la condamnation initiale dont le dirigeant veut être relevé. Par exemple, si le dirigeant a été condamné en raison d'un dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements, il devra rembourser le passif apparu au cours de la période de poursuite d'activité excessive. Si l'interdiction de gérer fait suite à des détournements opérés dans son intérêt personnel, le dirigeant devra rendre les sommes concernées avant de présenter sa requête ;
  • ou, s'il présente toutes les garanties démontrant sa capacité à diriger ou contrôler une entreprise ou une personne morale (exemple : réalisation d'une formation professionnelle dans le domaine de la gestion d'une entreprise).

La requête doit être présentée devant le tribunal qui a prononcé cette sanction avec en pièce annexe les garanties démontrant sa capacité à diriger ou à contrôler l'une des entreprises visées par l'interdiction.

Le relèvement est d'autant plus facile à obtenir que la durée de l'interdiction est courte, autrement dit que les fautes reprochées sont légères. Mais le dirigeant doit malgré tout avoir exécuté une part significative de la sanction (en général les 3/4).

Le relèvement peut être total ou partiel.

Quelles solutions pour créer une entreprise malgré une interdiction de gérer ?

Le portage salarial est ouvert aux personnes interdites de gérer.

Son fonctionnement est très simple : en accord avec son entreprise cliente, l'ancien dirigeant fait appel à une société de portage qui joue un rôle "écran", en le salariant durant ses missions. La société de portage salarial adresse une facture d'honoraires à son client, et lui délivre en contrepartie un bulletin en salaire mensuel.

Le revenu net salarié mensuel correspond environ à la moitié des honoraires facturés à son client : 40 % à retrancher au titre des charges sociales, et entre 8 à 10 % pour les frais de gestion de la société de portage.

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