Comment fonctionne un bail précaire (bail dérogatoire) ?

Rédigé par Roxane Hidoux

Le bail précaire est un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux, d'une durée maximale de 3 ans et qui ne donne pas droit au renouvellement.

Sommaire :

Qu'est-ce qu'un bail précaire ?

L'article L.145-5 du Code de Commerce offre la possibilité au bailleur et au locataire de déroger au statut des baux commerciaux en concluant un bail dérogatoire (appelé bail précaire en pratique).

Le bail précaire a été conçu pour être un « bail à l'essai » devant éventuellement déboucher sur un bail commercial. Il donne ainsi la possibilité au locataire de vérifier la qualité de l'emplacement ou de tester la viabilité de son entreprise.

Il permet :

  • au bailleur : de ne pas s'engager à long terme avec un locataire dont il ne sait rien ;
  • au locataire : de bénéficier d'un loyer moins élevé puisqu'il n'a pas droit au renouvellement au bail à son expiration, ni à l'indemnité d'éviction en cas de reprise des locaux par le bailleur.

En pratique, les baux précaires sont souvent conclus par des petites boutiques, des restaurants éphémères, des concepts stores, des start-up dont les effectifs sont en forte croissance, ou encore pour servir d'entrepôt ou louer des locaux reconvertis qui n'ont jamais accueilli une activité commerciale auparavant.

C'est un bail peu conseillé aux commerçants qui pourraient alors perdre leur fonds de commerce et leur clientèle à son issue.

Bail précaire, convention d'occupation précaire et bail commercial saisonnier

Le bail précaire ne doit pas être confondu avec la convention d'occupation précaire ou le bail commercial saisonnier.

La convention d'occupation précaire se caractérise par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances exceptionnelles, pour une durée dont le terme est marqué par une cause autre que la seule volonté des parties. Le bénéficiaire d'une convention d'occupation précaire n'est pas qualifié de locataire mais d'occupant et ne paie pas un loyer mais une indemnité d'occupation.

Le bail commercial saisonnier est un bail particulier qui ne peut être conclu que lors de la saison touristique, l'été et/ou l'hiver, soit entre 3 et 6 mois maximum. A l'inverse d'un bail commercial, le locataire n'a pas de droit automatique au renouvellement de son bail.

A quelles conditions peut-on conclure un bail précaire ?

Le bail précaire est réglementé par l'article L145-5 du Code de commerce.

1. Le bailleur et le locataire ont manifesté expressément leur intention de conclure un bail précaire

Le seul fait de conclure un bail d'une durée inférieure ou égale à 3 ans ne suffit pas à constituer un bail précaire.

La volonté des parties de conclure un bail précaire doit alors être claire et non-équivoque car la conclusion d'un bail précaire a des conséquences importantes pour le locataire.

En pratique, il est conseillé d'inclure une clause en ce sens dans le bail ou de faire signer au locataire un écrit dans lequel il reconnaît ne pas avoir droit à la propriété commerciale, au renouvellement ou au paiement d'une indemnité d'éviction.

2. La durée totale du bail précaire ou des baux successifs n'excède pas 3 ans

Alors que la durée minimale du bail commercial est de 9 ans, celle du bail commercial dérogatoire est limitée à 3 ans. Mais dans la pratique, les baux sont souvent conclus pour une durée de 23 mois.

Le locataire a ici 2 possibilités :

  • conclure un unique bail d'une durée de 3 ans ou moins ;
  • conclure plusieurs baux successifs dont la durée totale n'excède pas 3 ans.

La durée d'un bail précaire se calcule au jour près. Ainsi, un bail de 36 mois qui commence à courir le 1er janvier 2022 prend fin le 31 décembre 2024.

A l'expiration de la durée de 3 ans, il n'est pas possible de conclure un nouveau bail précaire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux (article L 145-5, al. 1 du Code de commerce).

Comment conclure un bail précaire en pratique ?

Rédaction d'un écrit

Le bail précaire n'est pas soumis au formalisme des baux commerciaux. Il offre ainsi une grande liberté contractuelle pour les parties à travers l'insertion de clauses adaptées à leurs besoins, à l'exception bien entendu de la durée du bail.

Mais, afin d'éviter toute difficulté d'interprétation de leur volonté, les parties ont intérêt à conclure un bail écrit et à y insérer une clause écartant expressément l'application du statut des baux commerciaux.

Exemple : " En toute connaissance de cause et suffisamment informées, les parties entendent soumettre leurs engagements aux dispositions de l'article L 145-5 du Code de commerce, et expressément déroger, en toutes ses dispositions, au statut des baux commerciaux édicté par le Code de commerce. "

Il est souhaitable, afin d'éviter toute ambiguïté, d'adopter la qualification « bail dérogatoire » ou « bail de dérogation » en faisant référence à l'article L.145-5 du Code de Commerce. Il est déconseillé d'utiliser le terme « bail précaire », qui est susceptible d’entraîner une confusion avec la conventions d'occupation précaire.

Aucune prolongation tacite ne doit être prévue, faute de quoi le bail précaire pourra se transformer en bail commercial de 9 ans.

Dépôt de garantie, loyer et charges

Le bailleur peut exiger le versement d'un dépôt de garantie dont il fixe librement le montant. Il représente généralement 1 ou 2 termes de loyers.

La fixation du loyer d'un bail précaire est libre. Les charges peuvent être prévues soit au réel, soit au forfait. Le bail doit comporter la liste des charges couvertes par le forfait ou le versement provisionnel.

Réalisation d'un état des lieux

Un état des lieux doit être établi de manière contradictoire par les 2 parties au moment de la prise de possession des locaux et lors de leur restitution.

À défaut d'état des lieux amiable, il est établi par un commissaire de justice à l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire.

En cas d'établissement d'état des lieux par un tiers, le bail peut mettre la totalité des frais à la charge du locataire.

Un bail précaire peut-il succéder à un autre type de bail ?

Il est parfaitement possible de conclure un bail précaire après la fin d'un bail commercial ou d'un contrat de sous-location.

Le point de départ d'un bail précaire est l'entrée du locataire dans les lieux, c'est-à-dire la prise de possession des locaux en exécution du bail conclu avec le propriétaire.

Or, il n'est pas rare que les parties concluent un bail précaire alors que le locataire est déjà en place. La notion d'entrée dans les lieux au sens de l'article L.145-5 du Code de commerce a en conséquence été précisée par les tribunaux.

Ainsi ne sont pas incluses dans la durée d'un bail précaire :

  • la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux, avec l'accord du bailleur, afin d'y réaliser des aménagements pour préparer l'exécution du bail ;
  • la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux en tant que sous-locataire car le propriétaire des locaux n'est pas partie au contrat de sous-location ;
  • la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux sans le consentement du bailleur car elle constitue alors une occupation de pur fait ;
  • la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux en tant que titulaire d'un bail commercial.

Peut-on rompre un bail précaire avant son terme ?

Les parties peuvent librement convenir des modalités de résiliation amiable à l'intérieur du bail.

Rupture du bail précaire par le locataire

Le locataire a la possibilité de donner un congé anticipé mais il restera redevable des loyers dus jusqu'au terme du bail, sauf si celui-ci comporte une clause de résiliation anticipée.

Rupture du bail précaire par le bailleur

Le bailleur ne peut pas donner congé au locataire avant l'échéance du bail, à moins que celui-ci comporte une clause de résiliation anticipée.

Que se passe-t-il à l'expiration du bail précaire ?

Au terme du bail précaire, le locataire doit normalement quitter les lieux. En effet, il ne bénéficie ni du droit au renouvellement ni à l'indemnité d'éviction (sauf si le bail prévoit le contraire).

Pour obtenir le départ de son locataire, le bailleur n'a pas l'obligation de lui délivrer un congé, sauf si le bail le prévoit. Mais pour éviter que le locataire ne puisse revendiquer la propriété commerciale, il lui est conseillé de lui rappeler par lettre recommandée avec accusé de réception que le bail prendra automatiquement fin à la date d'expiration fixée dans le contrat et que le locataire devra avoir quitté les lieux d'ici-là.

La jurisprudence exclut toute tacite reconduction du bail précaire, même lorsqu'il a été conclu pour une durée nettement inférieure au maximum légal autorisé. Si le locataire se maintient dans les lieux après l'expiration du bail, sans opposition du bailleur, cela entraîne de plein droit la formation d'un bail de 9 ans (sauf si l'une des parties s'y oppose dans le délai de 1 mois).

Il faut donc penser à l'avance à rédiger un nouveau bail précaire pour prolonger l'occupation dérogatoire des lieux loués. Une autre solution est de conclure dès le départ un bail précaire de 3 ans, assorti d'une clause de résiliation anticipée.

Que se passe-t-il lorsque le locataire reste plus de 3 ans ?

À l'échéance du bail précaire, si le locataire ne quitte pas les lieux, le bailleur dispose de 1 mois pour manifester son opposition à son maintien dans les lieux, s'il ne l'a pas fait avant.

À défaut de réaction du bailleur, le locataire, qui est resté dans les lieux à la fin du bail précaire, bénéficie automatiquement d'un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, c'est-à-dire à un bail d'une durée de 9 ans donnant droit au renouvellement ou au versement d'une indemnité d'éviction en cas de refus de renouvellement du bailleur.

Ce principe s'applique même si le bail précaire a été conclu pour une durée inférieure à la durée maximale de 3 ans. Il n'y a donc pas tacite prolongation du bail précaire (Cass. 3e civ. 8-6-2017 n° 16-24.045).

Le délai de 1 mois se calcule de quantième en quantième : lorsqu'il part le dernier jour du mois, il arrive à échéance le dernier jour du mois qui sert de terme au délai (application des art. 641 et 642 du Code de procédure civile). Ainsi, lorsqu'un bail précaire prend fin le 31 janvier et que le locataire reste et est laissé en possession des locaux, il prend fin le dernier jour du mois de février et le 1er mars un nouveau bail commercial de 9 nouvelles années va se former.

Le bailleur laisse le locataire occuper les lieux

Lorsqu'à l’échéance du bail précaire, et au plus tard à l’issue d’un délai de 1 mois, le locataire reste dans les murs sans opposition du bailleur, le bail précaire devient un bail commercial de 9 ans.

La demande en justice tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du locataire à l'issue d'un bail dérogatoire, est d'ailleurs imprescriptible (Cass. 3e civ. 25-5-2023 n° 21-23.007).

Le bail commercial issu du maintien du locataire dans les lieux est soumis aux mêmes clauses et conditions que le bail précaire expiré. Cependant, les clauses de l'ancien bail qui ne sont pas compatibles avec le statut des baux commerciaux deviennent caduques.

Le loyer du bail commercial est fixé librement. A défaut d'accord entre les parties sur son montant, il doit correspondre à la valeur locative.

En revanche, si un cautionnement a été donné pour le bail précaire, il ne s'étend pas au nouveau bail commercial, sauf mention contraire.

Conditions de bénéfice du statut des baux commerciaux

Pour que le locataire puisse bénéficier d'un bail commercial, encore faut-il qu'il en remplisse les conditions. Il faut donc que le locataire dispose d'un bail portant sur un immeuble ou un local et qu'il exploite dans les lieux un fonds de commerce dont il est propriétaire.

En revanche, son immatriculation au registre du commerce à la date d'expiration du bail précaire n'est pas nécessaire (Cass. 3e civ. 30-4-1997 n°94-16.158). Cette condition s'applique uniquement lors du renouvellement du bail commercial.

Le bailleur s'oppose à la poursuite du bail

Le bailleur dispose de 1 mois à compter de l’échéance du bail précaire pour manifester son opposition au maintien du locataire dans les lieux, idéalement par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte de commissaire de justice.

Aucune clause du bail précaire ne peut le dispenser de faire connaître au locataire son opposition manifeste à son maintien dans les lieux (Cass. 3e civ., 13 janv. 2015, n°13-23.736). Ainsi, une clause selon laquelle le bail se termine de plein droit à l’expiration du terme fixé et stipulant que les locataires se maintenant dans les lieux seraient considérés comme occupants sans droit ni titre, est inefficace et ne fait pas obstacle à l’application du statut des baux commerciaux.

Lorsque le bailleur a manifesté son opposition dans ce délai de 1 mois mais que le locataire reste malgré tout dans les lieux, le bail précaire n'est pas transformé en bail commercial de 9 ans, sauf si le bailleur est entre-temps revenu sur sa décision.

Le locataire devient alors un occupant sans droit ni titre et le bailleur devra engager une procédure devant le Tribunal judiciaire, afin d'obtenir une décision de justice ordonnant l'expulsion. Les loyers encaissés au-delà des 3 ans le sont à titre d'indemnité d'occupation et dans l'attente de la libération des lieux.

Cependant, si après avoir requis et obtenu en référé cette expulsion, le propriétaire s’abstient d’en poursuivre l’exécution pendant plusieurs mois en percevant pendant cette période un loyer révisé, le bail précaire se transforme malgré tout en bail commercial.

Attention : un bailleur passif qui continue de percevoir les loyers sans réagir ou qui prend plus de 1 mois pour faire part de son opposition est considéré comme ayant accepté tacitement que le locataire reste et bénéficie du statut des baux commerciaux.

Le locataire et le bailleur concluent un bail commercial

À l'expiration de la durée maximale de 3 ans, le bailleur et son locataire ne peuvent plus conclure un nouveau bail précaire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.

Il est toutefois permis de conclure nouveau bail précaire d'une durée maximale de 3 ans (Avis Sén. n° 446 relatif à la loi 2014-626 du 18-6-2014) :

  • soit en vue d'exploiter le même fonds mais dans un autre local appartenant au bailleur ;
  • soit en vue d'exploiter un fonds différent dans le même local.

Attention : l'utilisation d'un prête-nom (époux ou épouse du locataire, concubins, etc.) constitue une fraude qui n’empêche pas l’application du statut des baux commerciaux.

Les parties peuvent volontairement décider de poursuivre leur relation. Le nouveau bail, formé par accord exprès ou tacite, ne pourra avoir une durée inférieure à 9 ans.

Le locataire bénéficie alors de toutes les dispositions des baux commerciaux : droit au renouvellement du bail, versement d'une indemnité d'éviction en cas de reprise par le bailleur...