Déspécialisation : peut-on changer l'activité ou la destination d'un bail commercial ?

Rédigé par Roxane Hidoux

L'activité du locataire est prévue dans le bail commercial et ne peut être modifiée sans l'accord du bailleur. Mais, lorsque celui-ci s'oppose à la modification de la destination des locaux, le locataire dispose d'une procédure de déspécialisation, soit partielle soit plénière.

Sommaire :

Dans quels cas l'autorisation du propriétaire du local commercial est-elle nécessaire ?

Le bail commercial contient une clause fixant précisément l'activité exerçable

Le contrat de bail contient généralement une clause déterminant la nature de l'activité qui peut être exercée dans les lieux (bijouterie, chausseur, boucherie...).

Cette clause contraint le locataire à exercer une activité conforme avec ce qui figure dans le contrat. A défaut, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire du bail commercial.

Le locataire ne peut donc, en principe, utiliser les lieux loués que pour le ou les commerces énumérés au bail.

Toutefois, certaines activités, bien que non expressément citées par le bail, peuvent être considérées comme implicitement incluses dans la destination contractuelle et être librement exercées par le locataire.

Ainsi, la vente de quiches, croque-monsieur, croissants au jambon et pizzas peut être considérée comme annexe à l'activité de boulangerie-pâtisserie, en raison de l'évolution des modes de consommation (Cass. 3e civ. 21-11-1995 n° 94-12.365).

En revanche, lorsque le bail n'autorise que la vente à emporter, le locataire ne peut pas installer une terrasse à proximité du magasin pour proposer aux clients d'y consommer les produits achetés (Cass. 3e civ. 26-3-2020 n° 18-25.893). De même, lorsque le bail commercial n'autorise qu'un usage d'hôtel, le locataire ne peut pas exercer une activité de restauration accessible à une clientèle extérieure à l'hôtel (Cass. 3e civ. 30-11-2023 n° 21-25.584).

Le bail commercial contient une clause "tous commerces"

Si le contrat contient une clause "tous commerces", le locataire peut exercer n'importe quelle activité commerciale dans les lieux.

Par la suite, s'il souhaite étendre ou modifier son activité, il n'aura pas besoin de solliciter l'autorisation du bailleur, ni de passer par la procédure de déspécialisation en cas de refus.

De plus, s'il souhaite vendre son fonds de commerce, il trouvera plus facilement un acquéreur car celui-ci pourra avoir une activité différente.

Mais sa liberté se trouve limitée à 3 égards :

  • le locataire doit respecter l'affectation des locaux. Par exemple, il peut être interdit de développer une activité de manufacture dans des locaux à usage de vente ;
  • le renouvellement du bail commercial ne sera possible que si le locataire exerce sa nouvelle activité depuis au moins 3 ans (article L. 145-8 alinéa 2, du Code de commerce). A défaut, le preneur peut se voir refuser le renouvellement du bail, sans indemnité ;
  • la clause "tous commerces" s'accompagne généralement d'une clause restreignant la libre cession du droit au bail au seul successeur dans le fonds. Ainsi, le changement d'activité ne pourra être réalisé que par l'exploitant en place et non pas en vue d'une cession. La cession devra porter sur le fonds exploité à l'époque de la cession, l'acquéreur pouvant ensuite, après avoir acquis le fonds, exercer l'activité de son choix en le transformant.

L'inconvénient d'un bail "tous commerces", c'est que le loyer ou le pas de porte payé par le locataire est plus élevé que ceux qu'aurait payé un locataire pour un bail dont l'activité est encadrée plus strictement. Il en va de même pour la fixation du loyer en cas de renouvellement du bail.

Peut-on passer outre le refus du propriétaire du local commercial ?

Sauf en cas de bail "tous commerces", toute modification de l'activité du locataire suppose l'accord du bailleur.

Mais il peut passer outre son refus, en recourant à la procédure de déspécialisation. Il pourra ainsi adjoindre à son activité principale des activités complémentaires (déspécialisation partielle) ou changer totalement d'activité (déspécialisation plénière).

Le déspécialisation partielle du local commercial

Le locataire a le droit d'adjoindre aux activités prévues à son bail des activités connexes ou complémentaires, tout en continuant d'exercer son activité d'origine. Celles-ci peuvent même devenir prépondérantes.

Qu'est-ce qu'une activité connexe ou complémentaire ?

Il n'existe pas de définition légale des activités connexes ou complémentaires. Mais les tribunaux exigent souvent la réunion de plusieurs critères : un usage commercial, une clientèle identique, des produits ou des matières premières et des méthodes de travail similaires.

Ainsi :

  • constituent des activités connexes ou complémentaires : l'activité de prêt-à-porter pour un commerce de lingerie, la vente de poulets pour la charcuterie, l'activité de traiteur pour un restaurateur, le commerce de surgelés et la vente de produits frais, l'activité de vente de billets d'entrée pour un bar situé près d'un site touristique... ;
  • ne constituent pas des activités connexes ou complémentaires : les activités de boulangerie et de confiserie, la vente de montres et un commerce de vêtements, la vente de vins et liqueur et l'activité de restauration...

Enfin, certaines activités annexes ou accessoires sont par nature incluses dans la destination des locaux et ne nécessitent pas d'autorisation préalable du bailleur pour être exercées. C'est le cas de l'activité de parapharmacie et de pharmacie.

Mais pour pouvoir valablement exercer une activité connexe ou complémentaire, le locataire doit respecter une procédure précise :

  • notifier au bailleur, par lettre recommandée avec accusé de réception, la nouvelle activité envisagée. Cette notification doit impérativement intervenir avant l'exercice de la nouvelle activité. A défaut, le locataire risque la résiliation du bail ou son refus de renouvellement sans indemnité d'éviction ;
  • le bailleur dispose ensuite de 2 mois pour accepter ou refuser. Aucune forme particulière n'est exigée pour sa réponse. A défaut de réponse dans le délai de 2 mois, il est supposé avoir accepté et le locataire peut exercer sa nouvelle activité ;
  • si le bailleur refuse, l'une des parties devra saisir le tribunal judiciaire. Celui-ci autorisera l'exercice de la nouvelle activité si celle-ci est véritablement connexe ou complémentaire à l'activité initiale. Le locataire ne pourra pas démarrer sa nouvelle activité avant d'avoir obtenu l'accord du juge.

S'il y a plusieurs bailleurs, le locataire doit faire sa demande à chacun d'eux. En cas de refus de l'un d'entre eux, il devra saisir le juge.

La déspécialisation n'entraîne pas de hausse de loyer immédiate. Néanmoins, lors de la révision triennale suivante, le bailleur pourra invoquer l'adjonction d'une nouvelle activité pour fixer le loyer à la valeur locative et échapper au mécanisme du plafonnement.

La déspécialisation plénière du local commercial

Lorsque le locataire envisage de changer totalement d'activité ou d'adjoindre à son activité actuelle une activité sans caractère connexe ou complémentaire, il y a déspécialisation plénière (ou totale). Le bailleur dispose de plusieurs possibilités d'opposition.

Conditions à respecter

Le locataire ne peut envisager valablement ce changement que si certaines conditions sont réunies :

  • l'activité actuelle n'est plus suffisamment rentable tandis que celle projetée apporte au consommateur un service inexistant ou insuffisamment représenté dans le secteur considéré. S'il existe des commerces similaires dans le voisinage ou qu'il n'y a pas de clients potentiels pour la nouvelle activité, le juge refusera ;
  • l'activité envisagée est compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier. Lorsque les locaux sont situés dans un immeuble en copropriété, il faut vérifier que l'activité envisagée n'est pas interdite par le règlement de copropriété. Mais même si ce dernier ne précise rien, la nouvelle activité peut être incompatible avec la destination de l'immeuble. Si, par exemple, l'activité projetée est susceptible de créer des nuisances, ou risque d'attirer une clientèle ne correspondant pas à la catégorie de l'immeuble, le changement sera refusé ;
  • le bailleur ne justifie pas de motifs graves et légitimes. Ce peut être l'existence d'un intérêt personnel (défaut de paiement des loyers, non-exploitation du fonds...) ou l'existence de droits concurrents accordés aux tiers (le bailleur s'est interdit à l'égard d'autres colocataires de donner à bail des locaux en vue d'exercer une activité concurrente de celle envisagée) ;
  • le bailleur ne souhaite pas exercer son droit de reprise. Le refus de transformation est suffisamment motivé si le bailleur justifie qu'il entend reprendre les lieux à l'expiration de la période triennale en cours pour faire construire ou reconstruire l'immeuble ou pour exécuter des travaux prescrits ou autorisés de rénovation urbaine ou de restauration immobilière.

Par exception, le premier locataire d'un local situé dans un centre commercial ne peut pas demander la déspécialisation pendant les 9 premières années de location.

Procédure à suivre

Le locataire doit respecter une procédure précise :

  • demander l'autorisation du bailleur. La demande doit être adressée par lettre recommandée ou par acte de commissaire de justice et préciser la ou les activités envisagées. Celui-ci a 3 mois mois pour accepter ou refuser. A défaut de réponse dans ce délai, il est censé avoir accepté le changement d'activité ;
  • informer les créanciers inscrits (c'est-à-dire disposant d'un privilège ou d'un nantissement, généralement les banques) du projet de changement d'activité, également par l'intermédiaire d'un commissaire de justice. Ceux-ci pourront alors demander des garanties supplémentaires au locataire.

Le changement d'activité peut nécessiter des travaux entraînant un arrêt temporaire de l'activité. Le propriétaire ne peut pas s'en prévaloir pour demander la résiliation du bail, à condition que les travaux ne dépassent pas 6 mois à compter de l'accord sur la déspécialisation ou de la décision judiciaire qui a autorisé le changement d'activité.

Lorsque le bailleur refuse ou subordonne son acceptation à des conditions que le locataire rejette, le litige devra être porté devant le Tribunal judiciaire qui autorisera la transformation si les conditions requises sont remplies.

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