Abus de majorité et abus de minorité : recours

Rédigé par Roxane Hidoux

Lorsqu'une majorité ou une minorité d'associés ou d'actionnaires prend une décision dans le seul but de nuire aux autres, elle commet un abus de majorité ou de minorité contre lesquels des recours existent.

Sommaire :

Les recours contre l'abus de majorité

L'abus de majorité suppose la réunion de 2 éléments :

  • la non-conformité d'une décision majoritaire avec l'objet et les intérêts de la société,
  • la rupture intentionnelle d'égalité entre les associés, la décision favorisant les associés majoritaires et nuisant aux associés minoritaires.

L'abus de majorité peut être invoqué dans le cadre d'une assemblée générale ou d'une consultation écrite.

En revanche, il est rarement invocable en cas de consentement des associés exprimés dans un acte car cette décision nécessite l'unanimité des associés.

Quelles formes peut prendre l'abus de majorité ?

Abus de majorité : bénéfices affectés aux réserves

La mise en réserves systématique des bénéfices, qui prive les associés minoritaires de dividendes, peut constituer un abus de majorité lorsqu'elle est contraire à l'intérêt social et prise dans le but de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires.

En revanche, il n'y a pas abus de majorité lorsque la mise en réserves a pour objet de faire face à des investissements importants ou d'améliorer la trésorerie de la société.

Abus de majorité : rémunération excessive du gérant

Une rémunération importante ou une augmentation importante de rémunération ne constitue pas en tant que telle un abus de majorité.

D'ailleurs, la rémunération du gérant majoritaire peut tout à fait être importante, mais augmenter faiblement et, à l'inverse, elle peut subir une hausse importante tout en restant faible.

Toutefois, ces 2 éléments peuvent poser question lorsqu'ils coïncident. Lorsque la rémunération du gérant majoritaire est manifestement excessive au regard de la situation financière de la société et qu'elle a pour conséquences de dégrader très fortement ses résultats, elle peut constituer un abus de majorité.

De même, constitue un abus de majorité la décision des associés d'octroyer une prime de bilan au gérant correspondant à 2 fois le montant du bénéfice d'une année de référence tout en approuvant des rémunérations très élevées.

En revanche, le gérant peut très bien voir sa rémunération augmenter alors que sa charge de travail n'a pas évolué.

Abus de majorité : mise en location-gérance et crédit-bail

La mise en location-gérance d'un fonds afin de transférer indirectement l'actif social en toute propriété à une société d'exploitation créée pour la circonstance par les associés majoritaires de la société propriétaire du fonds constitue un abus de majorité.

Il en va de même lorsqu'une opération aboutit à faire prendre en charge par la société la construction d'un immeuble dont la propriété devait - par le biais d'un contrat de crédit-bail - revenir à une SCI dont seuls les associés majoritaires étaient membres.

Néanmoins, le tribunal a considéré dans cette affaire qu'il n'y avait pas abus de majorité puisque l'opération avait favorisé l'extension de l'activité de la SARL.

Abus de majorité : transformation de la SARL ayant pour but de léser un minoritaire

Les transformations de société donnent souvent lieu à des abus de majorité. C'est notamment le cas lorsqu'une SARL est transformée en SA dans le but :

  • de détruire le pacte social qui protégeait l'associé minoritaire et de l'évincer de la société,
  • d'éliminer le gérant et d'empêcher le tribunal de statuer,
  • d'empêcher le jeu d'une clause relative au rachat des parts.

Comment s'exerce l'action en abus de majorité ?

Ce sont naturellement les associés minoritaires qui sont fondés à exercer l'action en abus de majorité.

Mais il peut également s'agir d'une gérant, notamment lorsque les associés majoritaires ont cédé leurs parts sociales et que les nouveaux associés ont désigné un nouveau gérant.

La prescription est de 3 ans et débute à compter du jour où la nullité est encourue. En pratique, il s'agit généralement du jour de la conclusion de la convention réglementée (et non de sa ratification par les associés) ou de la prise de la décision.

Quant à l'action en responsabilité contre les associés, elle est soumise à un délai de prescription de 5 ans (Cass. com. 30-5-2018 n° 16-21.022 FS-PB). Ainsi, un associé qui n'est plus recevable à demander la nullité d'une décision d'associés pour abus de majorité parce que son action a été engagée plus de 3 ans après l'adoption de la décision peut encore agir en réparation des conséquences de l'abus si l'action est formée dans les 5 ans qui suivent la date de cette décision.

La sanction privilégiée de l'abus de majorité est l'annulation de la décision collective. La décision adoptée est rétroactivement annulée et il appartient donc aux associés de se prononcer à nouveau sur le projet de résolution à l'origine de l'abus, cette fois conformément à l'intérêt de la société et des associés minoritaires.

Les associés minoritaires peuvent obtenir, en plus de l'annulation de la décision abusive, des dommages et intérêts, mais, dans ce cas, l'action doit être engagée à l'encontre des associés qui ont commis l'abus de majorité et non envers la société.

Dans les situations extrêmes, la dissolution de la société est concevable. C'est notamment le cas lorsque l'abus de majorité se double d'une mésentente paralysant le fonctionnement de la société.

Les recours contre l'abus de minorité

Au fil des évolutions législatives et des décisions des tribunaux, les associés minoritaires se sont vus reconnaître un certain nombre de droits (droit de solliciter une expertise de gestion, droit à l'information...) pour contrebalancer les pouvoirs des majoritaires, cela dans l'intérêt de la société.

Mais il arrive que ces droits soient détournés de leur objet et leur permettent d'adopter une attitude de harcèlement ou d'obstruction à l'égard du gérant ou des associés majoritaires.

Quelles formes peut prendre l'abus de minorité ?

Abus de minorité : harcèlement

Le harcèlement mené par les associés minoritaires peut prendre de multiples formes : multiplication de questions écrites posées sans raisons valables, demande de désignation d'un expert de gestion alors que l'associé ne remplit pas les critères requis ou qui repose sur un motif imprécis, demande de désignation d'un administrateur provisoire dans le but de déstabiliser l'associé majoritaire, etc.

Le comportement des associés est souvent motivé par le désir de monnayer à un prix avantageux leur sortie de la société.

Abus de minorité : opposition à la prorogation de la société

Le refus d'un association minoritaire de voter la prorogation du terme de la société est abusif s'il est contraire à l'intérêt social et a pour unique objectif de favoriser ses intérêts (Cass. 3e civ. 7-12-2023 n° 22-18.665 FS-B, Sté Castellaras Perennial c/ L.).

Abus de minorité : opposition à une augmentation de capital

Disposant en général d'une minorité de blocage, les associés minoritaires peuvent tenter de bloquer une opération essentielle pour la société, notamment l'augmentation de son capital social. Lorsque celle-ci constitue une condition de survie pour la société, il y a abus de minorité.

Il en va de même :

  • en cas de refus systématique des résolutions proposées par le coassocié gérant de la société,
  • en cas de refus de voter le transfert du siège social, rendu nécessaire par le déménagement de la société de domiciliation,
  • en cas de refus de l'associé qui refuse de participer au vote sur la réduction du capital social...

En revanche, ne constitue pas un abus de minorité le fait de s'abstenir systématiquement de participer aux décisions intéressant la vie sociale.

Quelle est la sanction de l'abus de minorité ?

La sanction de l'abus de minorité n'est pas sans poser des difficultés. Puisqu'aucune décision n'a été prise, il n'est pas possible d'envisager la nullité, comme dans le cas d'un abus de majorité.

Par ailleurs, la condamnation au versement de dommages et intérêts ne résout pas le problème, à savoir la nécessité de voter une décision essentielle pour la société.

En l'état actuel des choses, le juge peut simplement désigner un mandataire chargé de représenter les associés minoritaires défaillants lors d'une nouvelle assemblée. Mais le juge ne peut pas fixer le sens du vote du mandataire ad hoc qu'il a désigné.