Quelles sanctions pour les dirigeants d'une entreprise en procédure collective ?

Rédigé par Roxane Hidoux

Lorsqu'une faute de gestion de la part des dirigeants a contribué à l'insuffisance d'actif d'une personne morale, le tribunal peut les condamner à rembourser les dettes de la société, à la faillite personnelle ou à la banqueroute.

Sommaire :

Un dirigeant d'une entreprise en difficulté peut-il être condamné à régler son passif ?

Le dirigeant d'une société en liquidation judiciaire qui a commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif peut être condamné à supporter tout ou partie de cette insuffisance.

Mais pour qu'une action en comblement de passif puisse être engagée avec succès, 4 conditions doivent être remplies :

  • la société doit faire l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ;
  • la société doit être dans l’impossibilité de combler son passif avec son actif disponible ;
  • le dirigeant doit avoir commis des fautes de gestion ;
  • l'une de ces fautes de gestion doit avoir contribué à aggraver l'insuffisance d'actif de la société.

L'action en comblement de passif peut être engagée par le liquidateur judiciaire, le représentant des créanciers ou le ministère public devant le tribunal qui a ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire de la société.

Conditions de l'action en comblement de passif

1. Une société en liquidation judiciaire

Un dirigeant peut être poursuivi en comblement de passif en cas de mise en liquidation de l'entreprise ayant fait apparaître une insuffisance d'actif.

Cette action n'est applicable au dirigeant qu'en cas de liquidation judiciaire. Elle n'est pas admise en cas de redressement ou de sauvegarde, sachant que, par définition, le plan permettra de payer l'intégralité du passif.

L'action est soumise à un délai de prescription de 3 ans qui débute le jour suivant le jugement prononçant la liquidation judiciaire (article L. 651-2 du Code de commerce).

2. Une société dans l'impossibilité de combler son passif

Dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire, le liquidateur - nommé par le tribunal - a pour mission de rassembler l'actif de la société et d'enregistrer les créances (dettes) qui lui sont adressées.

À l'issue de ces opérations, il établit un compte actif/passif qui révèle ou non une insuffisance d'actif. C'est à partir de ce moment-là que le tribunal va décider d'engager ou non la responsabilité du dirigeant.

Contrairement à la cessation des paiements, l'insuffisance d'actif s'apprécie au moment où le juge statue sur l'action en responsabilité.

En revanche, en cas de démission du dirigeant avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, l'insuffisance d'actif s'apprécie au jour de la cessation de ses fonctions.

Cessation des paiements et insuffisance d'actif

Une société peut être en cessation des paiements sans être en insuffisance d'actif.

La notion d'insuffisance d'actif est en effet plus large que la cessation des paiements :

  • La cessation des paiements prend en compte l'actif disponible : les sommes figurants dans la caisse ou le compte bancaire de la société, les découverts autorisés non utilisés ainsi que les réservées de crédits ;
  • L'insuffisance d'actif prend en compte l'actif réalisable, c'est-à-dire l'actif disponible + l'actif immobilisé notamment (comme la valeur du fonds de commerce) et les créances à terme.

3. La preuve de fautes de gestion commises par le dirigeant

Les dirigeants ne peuvent être condamnés à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif que s'ils ont commis une ou plusieurs fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance.

La réglementation est assez sévère puisque peut être considéré comme une faute de gestion l'imprudence, l'incompétence ou la carence dans l'exercice de son mandat social. En revanche, depuis l'entrée en vigueur de la loi Sapin II en 2016, la responsabilité pour insuffisance d’actif est écartée en cas de simple négligence (article L. 651-2 du code de commerce).

Plus précisément, est considéré comme une faute de gestion :

  • le fait d'avoir disposé des biens de l'association ou de l'entreprise comme de ses biens propres ;
  • le fait d'avoir fait des actes de commerces sous couvert de la personne morale masquant ses agissements ;
  • le fait d'avoir fait des biens ou du crédit de le la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
  • le fait d'avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait que conduire à la cessation des paiements de la personne morale ;
  • le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de l'association ou de l'entreprise.

En revanche, le fait de ne pas déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours ne constitue plus une faute de gestion (Cass. com., 3 février 2021, 19-20.004). Tout comme le fait de faire reposer son activité sur un seul client (Cass. com., 13 avril 2022, n°20.20.137)

Lorsqu'une procédure de liquidation succède à une procédure de redressement judiciaire, des fautes de gestion commises après le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire mais avant la liquidation judiciaire peuvent être prises en compte pour justifier la condamnation au comblement de passif (Cass. com. 22-1-2020 n° 18-17.030).

4. L'aggravation de l'insuffisance d'actif du fait de la faute de gestion commise par le dirigeant

Les fautes de gestion commises par le dirigeant doivent avoir contribué à aggraver l'insuffisance d'actif de la société.

Elles doivent donc avoir été commises avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

En l'absence de lien entre la faute de gestion et l'aggravation ou l'apparition de l'insuffisance d'actif, la faute de gestion n'engage pas la responsabilité du dirigeant.

Une faute de gestion du dirigeant ne conduit donc pas automatiquement à la condamnation de celui-ci à combler le passif de la société.

Sanctions de l'action en comblement de passif

Si l'action en comblement de passif aboutit, le dirigeant sera condamné à régler tout ou partie du passif de la société.

Le tribunal peut cependant prendre en considération diverses circonstances telles que la gravité des fautes de gestion, le montant de l'insuffisance d'actif mais aussi la situation personnelle du dirigeant et ses facultés contributives ou encore les efforts qu'il a fournis pour rétablir la marge brute de la société. Il peut ainsi écarter toute condamnation même si le dirigeant s'est rendu coupable de l'un des agissements permettant le prononcé de cette sanction.

En revanche, la responsabilité du dirigeant s'apprécie de la même manière, qu'il soit rémunéré ou non (Cass. com. 9-12-2020 n° 18-24.730).

Les sommes versées par le dirigeant condamné seront réparties entre tous les créanciers à proportion de leurs créances, sans qu'il soit tenu compte de leur nature privilégiée ou non.

Lorsque la société est dotée de plusieurs dirigeants et qu'ils ont tous commis des fautes de gestion qui ont, ensemble, contribué à fragiliser l'équilibre financier de la société, le tribunal peut les déclarer solidairement responsables. A ce titre, il n'est pas nécessaire d'évaluer dans quelle proportion celles-ci ont contribué à aggraver la situation financière de la société (C. cass, 25 mars 2020, n° 18-21841).

Si le dirigeant ne règle pas les sommes auxquelles il a été condamné et qu'il n'a pas obtenu de délais de paiement du tribunal, il pourra en plus être frappé d'une interdiction de gérer.

La solidarité fiscale

Un dirigeant condamné pour fraude fiscale peut être tenu solidairement avec le redevable légal de l'impôt fraudé au paiement de celui-ci et des pénalités (CGI article 1745).

La solidarité fiscale peut se cumuler avec la responsabilité pour insuffisance d'actif lorsque la faute du dirigeant a entraîné la mise en liquidation judiciaire de la société (Cass. com. 5-9-2018 n° 17-13.626 FS-PBI).

Mais le dirigeant condamné à supporter l'insuffisance d'actif en application de l'article L 651-2 du Code de commerce auquel s'applique en outre la solidarité pour le paiement de droits fraudés n'a pas à payer 2 fois.

Les sommes versées par lui pour combler le passif entrent dans le patrimoine de la société et sont réparties entre tous les créanciers, dont l'administration fiscale, au prorata du montant de leur créance.

La dette fiscale sera donc réglée au moins en partie par les sommes ainsi versées et pour le solde, l'administration fiscale pourra faire jouer la solidarité.

Un dirigeant d'une entreprise en difficulté encourt-il des sanctions professionnelles ?

Lorsqu'une société est mise en redressement ou en liquidation judiciaire, ses dirigeants peuvent être frappés d'une sanction professionnelle : la faillite personnelle et/ou l'interdiction de gérer.

Cette sanction est indépendante du sort de la société en procédure collective qui peut être liquidée ou continuée.

La faillite personnelle

La faillite personnelle vient sanctionner des fautes commises par le dirigeant malhonnête ou gravement incompétent qui par ses agissements a conduit l'entreprise à sa perte.

La faillite personnelle peut être prononcée à l'égard des dirigeants qui ont commis l'une des fautes visées plus haut ainsi que :

  • le fait d'avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou bien une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
  • le fait d'avoir, dans l'intention de retarder ou d'éviter l'ouverture de la procédure, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
  • le fait d'avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de la personne morale ;
  • le d'avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou, avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
  • le fait de n'avoir pas acquitté les dettes de l'association, mises à sa charge ;
  • certains faits en lien avec l'état de cessation des paiements : avoir trop tardé à déclarer l'état de cessation de paiements, contribuant ainsi à augmenter considérablement le passif de l'association ; avoir fait obstacle à son bon déroulement, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure ; avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers.

Si, pour prononcer une faillite personnelle, le tribunal doit bien être saisi au cours d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, il importe peu que la sanction soit prononcée après la clôture de la procédure. En effet, la clôture de la liquidation judiciaire n’est pas un obstacle (Cour de cassation, chambre commerciale, du 8 février 2023, n°21-22796).

Le prononcé de la faillite personnelle par le juge entraîne obligatoirement l'interdiction de gérer directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale ou toute personne morale ayant une activité économique, pendant au moins 5 ans.

A cette occasion, le Tribunal peut aussi prononcer l'incapacité d'exercer une fonction publique élective mais, cette mesure étant facultative, il doit obligatoirement la motiver.

L'interdiction de gérer

L'interdiction de gérer peut être prononcée dans tous les cas de faillite personnelle énumérés ci-dessus.

Cette sanction peut aussi être prononcée en dehors de la faillite personnelle et frapper les dirigeants qui, de mauvaise foi, n'auraient pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur judiciaire les documents nécessaires à l'inventaire de l'entreprise dans le mois qui suit le jugement d'ouverture de la procédure.

L'interdiction de gérer peut également frapper le dirigeant qui, sciemment, n'aurait pas informé un créancier, partie à une instance en cours, de l'ouverture de la procédure collective dans les 10 jours de celle-ci.

Elle peut en outre sanctionner le dirigeant qui a sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

L'interdiction de gérer entraîne l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale, artisanale ou agricole et toute personne morale, soit seulement une ou plusieurs de celles-ci.

Cette sanction est moins lourde que la faillite personnelle, pour laquelle l'interdiction de gérer est forcément générale.

Un dirigeant d'une entreprise en difficulté encourt-il des sanctions pénales ?

Lorsqu'une entreprise fait l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et que son dirigeant a commis des actes frauduleux avant ou après la date de cessation des paiements (emploi de moyens ruineux, comptabilité fictive, disparition de documents comptables, absence de comptabilité...), il peut être condamné pour banqueroute.

A la différence des précédentes actions, qui sont des délits civils et qui relèvent du tribunal ayant ouvert la procédure de faillite de l'entreprise, la banqueroute relève de la juridiction pénale, à savoir le tribunal correctionnel.

Exemples de faits constitutifs du délit de banqueroute :

  • avoir fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds, dans l'intention de retarder ou d'éviter l'ouverture de la procédure ;
  • avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de l'entreprise ;
  • avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou, avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
  • avoir volontairement omis de payer les cotisations sociales.

La banqueroute est punie de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende (375 000 €, si le dirigeant est une personne morale).

Depuis une décision du conseil constitutionnel du 29 septembre 2016, un dirigeant qui s'est vu condamner pour banqueroute ne peut plus voir prononcer à son encontre la faillite ou une interdiction de gérer.