Procédure de redressement judiciaire : le sort des dirigeants

Rédigé par Roxane Hidoux

Le dirigeant d'une entreprise qui fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire continue de la gérer et de l'administrer à peu près librement, sauf si un administrateur a été nommé.

Sommaire :

Que deviennent les dirigeants lors de l'ouverture d'une procédure de redressement ?

Durant la procédure d'observation

Le rôle du dirigeant varie selon ce qui a été décidé par le tribunal. En principe, le dirigeant n'est pas dessaisi de ses pouvoirs pendant la période d'observation.

Il continue d'exercer les actes de gestion courante, sous certaines réserves (l'interdiction des paiements des créanciers antérieurs à l'ouverture de la procédure, et la poursuite des contrats en cours).

Pour reconstituer l'actif de l'entreprise, des actions en nullité de la période suspecte peuvent être effectuées. Ces actions visent à annuler les actes frauduleux réalisés alors que l'entreprise était déjà en cessation des paiements

Par ailleurs, les dirigeants ne peuvent pas céder leurs actions ou parts sociales pendant la durée de la période d'observation.

Aucun administrateur n'a été nommé

En l'absence de désignation d'un administrateur judiciaire par le Tribunal, le dirigeant reste maître de son entreprise.

La désignation de l'administrateur judiciaire n'est en effet pas obligatoire en deçà des seuils suivants: 20 salariés et 3 000 000 € de chiffre d'affaires (article L621-4 qui renvoie à l'article R621-11 du Code de commerce).

Un administrateur a été nommé

L'administrateur judiciaire peut être désigné si le tribunal l'estime nécessaire ou si l'entreprise dépasse certains seuils (20 salariés au moins ou 3 000 000 € de chiffre d'affaires).

En présence d'un administrateur judiciaire, le dirigeant partage ses pouvoirs. L'administrateur judiciaire peut être désigné dès le jugement d'ouverture de la procédure, ou par un nouveau jugement pendant la période d'observation si cela s'avère nécessaire.

Le dirigeant conserve ses fonctions, mais il peut soit être surveillé par l'administrateur, soit être assisté par l'administrateur :

  • si l'administrateur a une mission de surveillance, il contrôle a posteriori les actes de gestion du dirigeant ;
  • si l'administrateur a une mission d'assistance, il prend les décisions en commun avec le dirigeant et l'assiste dans la gestion. Il y a alors une véritable cogestion. Les actes de gestion effectués par le dirigeant seul sont inopposables à la procédure, c'est-à-dire que tout se passe comme si ces actes n'existaient pas.

Certaines prérogatives sont confiées exclusivement à l'administrateur. Il est le seul à pouvoir opter sur le sort d'un contrat en cours, résilier le bail immobilier, faire fonctionner les comptes de l'entreprise lorsqu'elle est interdite bancaire.

En pratique, les pouvoirs des dirigeants sont d'autant plus restreints que la mission confiée à l'administrateur est large. Toutefois, dans plus de 90 % des cas, le juge laisse aux dirigeants leurs pouvoirs.

Après l'adoption d'un plan de redressement

Le tribunal peut subordonner l'adoption du plan au remplacement d'un ou plusieurs dirigeants, sur demande du ministère public. Le prix de cession de ses titres sera fixé par un expert.

Sauf dans le cas où il a été évincé de la direction, le dirigeant retrouve ses pouvoirs normaux de gestion, sous réserve de respecter les dispositions du plan, de ne pas y apporter de modifications substantielles sans l'autorisation du tribunal et de respecter les dispositions spécifiques qui y sont prévues (inaliénabilité de certains biens).

Sauf dispositions contraire du plan, l'entreprise en difficulté n'a pas besoin d'obtenir l'autorisation du juge-commissaire ou du tribunal pour disposer de ses biens.

Certains actes sont-ils interdits aux dirigeants d'une entreprise en redressement ?

Le dirigeant d'une entreprise en redressement ne doit plus régler aucune dette dont le fait générateur est antérieur à la date du jugement d'ouverture.

Cette interdiction légale s'impose tant à l'entreprise en redressement judiciaire qu'à ses créanciers (à l'exclusion des salariés), chaque partie s'exposant en cas de non-respect à des sanctions.

Par ailleurs, le paiement des créances nées après le jugement d'ouverture de la procédure n'est possible que si les créances résultent de la poursuite régulière des activités de l'entreprise et sont nécessaires au déroulement de la procédure (frais de justice) ou qu'elles sont la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur.

Que deviennent les contrats conclus par l'entreprise en redressement judiciaire durant la période suspecte ?

Pour éviter les conséquences d'opérations que l'entreprise a pu accomplir en diminuant son patrimoine au mépris des droits des créanciers, certains actes accomplis entre la date de cessation des paiements et celle du jugement d'ouverture peuvent être annulés.

Cet intervalle est appelé période suspecte.

La loi organise un double régime de nullité : certains actes sont annulés de plein droit tandis que d'autres ne le sont que sous certaines conditions, le tribunal ayant le pouvoir de trancher. La nullité d'un acte est en principe rétroactive.

Les nullités de plein droit de l'entreprise en redressement judiciaire

Font notamment l'objet d'une nullité de plein droit :

  • une donation effectuée pendant la période suspecte. Le débiteur n'a aucun intérêt à donner ses biens alors qu'il est en difficulté. Il s'agit plutôt d'une tentative de cacher un bien pour éviter qu'il ne soit saisi ;
  • les contrats où il existe un déséquilibre entre la contrepartie reçue et l'engagement (prix trop élevé notamment) ;
  • le paiement de dettes qui ne sont pas encore parvenues à échéance ;
  • le paiement de dettes parvenues à échéance faisant appel à un mode de paiement suspect (remise d'un bien notamment) ;
  • la constitution d'une hypothèque pour garantir une dette antérieure. Il s'agit d'un acte anormal car une hypothèque doit normalement être consentie lors de la conclusion du contrat.

Les nullités de l'entreprise en redressement judiciaire décidées par le juge

Peuvent être annulés par le juge :

  • les actes sans contrepartie conclus dans les 6 mois précédant la cessation des paiements ;
  • les actes ayant une contrepartie conclus pendant la période suspecte et pour lesquels le cocontractant avait connaissance de l'état de cessation des paiements de l'entreprise.

Le traitement particulier de certains actes effectués par l'entreprise en redressement judiciaire

Le Code de commerce réserve un traitement particulier à certains paiements, même s'ils ont eu lieu pendant la période suspecte.

Ainsi, le paiement d'une lettre de change, d'un billet à ordre ou d'un chèque ne peut, en principe, être remis en cause.

Le dirigeant de l'entreprise en redressement judiciaire doit-il exercer ses fonctions différemment ?

Ouverture d'un nouveau compte bancaire

Tous les comptes bancaires de l'entreprise en redressement sont bloqués et un nouveau compte "RJ" ou "bis" doit être ouvert dès le jugement d'ouverture.

Celui-ci peut être ouvert dans la banque habituelle de l'entreprise ou, en cas de refus, dans une banque spécialisée, tels que Themis Banque ou Delubac & Cie.

Les soldes créditeurs des anciens comptes bancaires y sont virés. Les soldes créditeurs des anciens comptes y sont virés.

Si la banque ne fait pas spontanément le nécessaire, c'est au dirigeant de demander son ouverture.

Ce nouveau compte fonctionne sous la seule signature du dirigeant lorsqu'il n'a pas été nommé d'administrateur judiciaire.

Décision de poursuivre ou de rompre les contrats en cours

L'ouverture de la procédure n'a pas pour effet la résiliation ou la résolution des contrats en cours.

Au contraire, le dirigeant a seul la possibilité d'exiger la poursuite des contrats en cours, sauf si un administrateur judiciaire a été désigné et après avis conforme du mandataire judiciaire.

Le cocontractant doit remplir ses obligations, même si avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l'entreprise en difficulté n'avait pas exécuté ses propres engagements (comme le paiement de la prestation).

Un contrat en cours pourra malgré tout être résilié lorsque :

  • le cocontractant a adressé au mandataire judiciaire une mise en demeure de prendre parti sur la continuation du contrat qui n'a pas reçu de réponse à l'expiration d'un délai de 1 mois ;
  • l'entreprise en redressement judiciaire n'a pas été en mesure de payer son cocontractant et n'a pas obtenu son accord pour poursuivre la relation contractuelle ;
  • enfin, l'administrateur (ou le dirigeant, avec l'accord du mandataire judiciaire), peut demander au juge-commissaire de prononcer la résiliation d'un contrat si celle-ci est nécessaire au redressement de l'entreprise et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

A noter : les règles relatives à la poursuite et à la résiliation des contrats en cours ne s'appliquent pas aux contrats de bail des immeubles affectés à l'activité, aux contrats de travail et aux contrats de fiducie.

Paiement des dettes postérieures à l'échéance

Les dettes nées durant la poursuite d'activité doivent être réglées à échéance.

Lorsqu'elles ne sont pas payées à leur date d'échéance, le créancier peut engager des voies de recouvrement forcé, celui-ci n'étant pas concerné par la règle de l'arrêt des poursuites individuelles.

Réalisation des déclarations fiscales et sociales

Les déclarations fiscales et sociales doivent être adressées normalement aux organismes concernés, sans paiement pour les déclarations afférentes aux périodes antérieures à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

En revanche, les déclarations afférentes aux périodes postérieures doivent être accompagnées du règlement correspondant.

En ce qui concerne la TVA, l'entreprise va devoir informer son Centre des impôts de la date d'ouverture du redressement et joindre à sa déclaration du mois au cours duquel intervient le redressement une note mentionnant le montant de TVA afférent aux opérations réalisées du début du mois à la date du jugement.

Autorisation du juge-commissaire pour certains actes importants

Seuls les actes de gestion courante peuvent être réalisés par le dirigeant sans intervention du juge-commissaire.

Les actes revêtant une certaine importance, comme la vente de l'un des biens de l'entreprise, la résiliation du bail du fonds de commerce, le licenciement d'un salarié, l'octroi d'une sûreté, la transaction avec l'un des créanciers ou le paiement d'une créance antérieure pour retirer le gage ou la rétention doivent être préalablement autorisés par le juge-commissaire avant d'être effectués.

Tout acte passé en violation de cette règle peut être annulé et donne lieu à des sanctions à l'encontre de celui qui les commet.

Quelles missions particulières le dirigeant d'une entreprise en redressement judiciaire doit-il réaliser ?

Dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, le tribunal va désigner un commissaire-priseur, chargé de réaliser un inventaire des biens de l'entreprise en redressement et des garanties qui les grèvent.

L'administrateur va être tenu de réaliser tous les actes nécessaires à la conservation des droits de l'entreprise en redressement et à la préservation de ses capacités de production (hypothèque, nantissement...).

Le dirigeant va devoir communiquer au tribunal plusieurs documents :

  • la liste certifiée des créanciers, du montant de ses dettes ainsi que des principaux contrats en cours ;
  • la liste des différents établissements, du personnel et tous les éléments permettant de savoir quels sont les salaires et indemnités à payer ;
  • la liste des procès en cours.

Durant la période d'observation, l'entreprise poursuit son activité. Tous les mois, l'entreprise va devoir établir un compte de résultat et un prévisionnel d'activité, certifiés par un expert-comptable, portant sur les périodes postérieures à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Il devra être transmis au juge-commissaire.

En cas d'oubli, l'entreprise sera mise en liquidation judiciaire, le tribunal ignorant sa situation au regard de la période d'observation.

Les dirigeants d'une entreprise qui fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire sont-ils rémunérés ?

Depuis la loi Pacte, la rémunération du dirigeant de l'entreprise est maintenue en cas de redressement judiciaire.

L'administrateur judiciaire peut cependant demander au juge-commissaire de la modifier, généralement à la baisse.

En cas de cumul du mandat social et d'un contrat de travail, le juge-commissaire n'a pas compétence pour modifier unilatéralement ce contrat en fixant de nouvelles conditions de rémunération, mais le dirigeant peut être licencié.

Le dirigeant peut solliciter des subsides s'il ne perçoit aucune rémunération.

Que deviennent les titres sociaux du dirigeant d'une entreprise en redressement judiciaire ?

A compter du jugement d'ouverture, les actions, les parts sociales ou les valeurs mobilières donnant accès au capital de la personne morale ne peuvent plus être cédés sans l'autorisation du tribunal.

Cela vise les dirigeants de droit et de fait, qu'ils détiennent directement ou non ces droits sociaux et qu'ils soient ou non rémunérés.

L'administrateur va d'ailleurs procéder à l'inscription de l'incessibilité des droits sociaux sur le RCS.

Les titres de sociétés par actions détenus par les dirigeants vont être virés sur un compte spécial bloqué. L'organisme dépositaire leur remettra ensuite un certificat leur permettant de voter.

L'adoption du plan de redressement peut avoir des conséquences fâcheuses pour les dirigeants, le tribunal pouvant :

  • subordonner son adoption au remplacement d'un ou plusieurs d'entre eux ;
  • prononcer l'incessibilité de leurs droits sociaux (détenus directement) et décider que le droit de vote qui y est attaché sera exercé par un mandataire de justice, pour une durée qu'il détermine ;
  • ordonner la cession des parts, actions et valeurs mobilières (détenus directement), leur prix étant fixé par un expert.

Quelles sanctions les dirigeants d'une entreprise en redressement judiciaire encourent-ils ?

Les dirigeants d'une entreprise en redressement judiciaire encourent des sanctions, contrairement aux dirigeants d'une entreprise en sauvegarde.

Ils peuvent peut être frappés d'une sanction professionnelle : la faillite personnelle et/ou l'interdiction de gérer. Mais s'ils ont commis des actes frauduleux, ils seront condamnés pour banqueroute.

En revanche, contrairement aux dirigeants d'une entreprise en liquidation judiciaire, ils ne peuvent pas être condamnés au règlement de son passif.